dimanche 26 février 2012

Revivre

Paul avait tout perdu : il ne possédait plus que ses quelques vêtements qu’il portait, son duvet et une valise qui contenait des livres. En ce moment il relisait Le lion de Joseph Kessel, ce qui lui permettait de revivre un de ses nombreux voyages en Afrique…dans son autre vie, il n’y a pas si longtemps que ça. Avant que sa femme ne le quitte, avant l’accident.
Rien n’était trop beau pour eux trois à l’époque : ils logeaient dans des hôtels merveilleux, ils mangeaient dans les meilleurs restaurants, ils faisaient les plus belles excursions. Qu’est ce qu’ils s’aimaient, qu'est ce qu'ils étaient heureux! Et maintenant, que reste t-il de tout cet amour? Pourquoi avoir eu le droit de gouter à ce bonheur si c'est pour se le voir confisqué?

Comment continuer à vivre alors que plus jamais il ne serrera son fils dans ses bras,que plus jamais il ne le fera rire par ses pitreries, que plus jamais il ne s’émerveillera de sa beauté, de cette enfance merveilleuse qui porte tant d’espoirs…Des espoirs morts-nés….
Oui, comment faire pour survivre à ça ?
Il n’a pas eu le courage de se tuer, mais il n’a plus le courage de vivre non plus.
Cet amour qui l’unissait à sa femme n’y a pas résisté non plus. La disparition d’Hector a tout balayé : son couple, son boulot, ses amis…tout. Même son frère l’insupporte désormais, avec ses bons sentiments et sa morale à 2 balles. Qu’est ce qu’il peut comprendre lui ? Il a toujours ses 2 filles et il attend son 3ème enfant.
Pour Paul, tout ceci n’existe plus et c’est comme si cela n’avait jamais vraiment existé. Ce ne sont plus que des souvenirs qui le font souffrir et qui l’empêchent de vivre.
Il aurait pu s’abrutir dans le travail, mais à la mort d’Hector, travailler lui a paru absurde : à quoi bon travailler : pour qui, pour quoi faire…Il s’est laissé allé, s’est fait licencier, est arrivé au bout de ses indemnités de chômage, sa femme l’a mis à la porte, lui a dit de se débrouiller…Il l’a prise au mot : il a pris son duvet, une valise remplie de livres et s’est installé devant son immeuble. Cela fait 2 ans maintenant qu’il vit et dort devant son ancien immeuble. Deux ans qu’il voit ses anciens voisins passer devant lui chaque matin. Deux ans que chaque journée, et surtout chaque nuit est un nouveau combat à mener! Un combat contre la faim, contre le froid, contre l'ennui, contre la peur, contre la solitude...Contre les autres SDF aussi qui régulièrement le tabassent pour lui voler quelques pièces ou des vêtements...
Sa femme, son ex-femme maintenant, a déménagé depuis. Elle ne pouvait plus supporter cet appartement qui lui rappelait tout ce bonheur perdu à jamais, tout ce gâchis.
A part une femme, aucun des habitants de son ancien immeuble n’a osé venir lui parler. La plupart font comme s’ils ne le connaissaient pas, d’autres regardent de côté, d’autres enfin lui donnent un morceau de pain ou une boisson de temps à autre mais ne s'attardent pas.
Seule Magda lui apporte chaque matin un café chaud, sucré comme il l’aime (elle le lui a demandé), ainsi qu’une demi baguette chaude qu’elle achète juste à côté. Puis elle reste quelques instants avec lui, elle ne lui pose pas de questions, elle ne veut pas être indiscrète…ils parlent de la pluie et du beau temps…A force de la voir chaque matin, il commencent à discuter de leur vie. Il lui confie qu’avant il habitait dans l’immeuble, qu’il gagnait bien sa vie, qu’il était marié, qu’il avait un enfant…Et il se met à pleurer, pleurer comme il ne l’avait jamais fait auparavant. Il s’excuse auprès de Magda : il ne veut pas l’embarrasser. Mais non, dit-elle, c’est tout à fait naturel…ca vous fait du bien.
C’est exactement ça : ça lui fait un bien fou. Il se sent libéré d’un poids, il se sent prêt à revivre.



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Chantal

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